10 observations sur la crise de l’été 2013 en Algérie.

Entre eux, l’abcès devait crever un jour ou l’autre. La lutte d’intérêts avait trop durée entre le réseau des services de renseignement (DRS Département du Renseignement et de la Sécurité) du discret Général de corps d’armée Toufik et le clan du président Bouteflika. En point de mire, l’élection présidentielle de 2014 et le bénéfice de la manne pétrolière. Retour chronologique en 10 brèves observations sur la crise politique de l’été 2013 en Algérie.

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Légende: Entretien le 3 septembre entre le président Abdelaziz Bouteflika et le nouvel homme fort du pouvoir, le chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah.

1. Rapport de forces. Après une période de soins en France, le retour officiel de Bouteflika en Algérie a eu lieu le 16 juillet dernier à l’aéroport militaire de Boufarik. Le chef de l’Etat est alors dans un état de santé délicat. On discerne les séquelles de son accident vasculaire cérébral à travers une hémiplégie du côté gauche. Le travail des institutions de l’état est au ralenti. C’est le Ramadan et l’été de surcroît. Et très vite, Bouteflika disparaît de nouveau des radars. Certains pensent même qu’il est reparti à l’étranger pour poursuivre sa rééducation fonctionnelle. Une absence entrecoupée par de brèves apparitions à la mi-août avant son offensive de début septembre. Avec un retour réel négocié au prix de concessions fortes…

2. Concessions pour la suite. Le colonel Fawzi a été démis début juillet. Ce n’est que fin juillet qu’on apprend cette information. Il était à la tête du Centre de Communication et de Diffusion (CCD), qui dépendait du DRS. A travers la distribution de la manne publicitaire publique, le CCD contrôle la presse algérienne et encourage le clientélisme. Si un journal ose s’affranchir de l’autocensure, il risque très vite de s’exposer à la faillite. Les censeurs ont été remplacés par des huissiers de justice. Dans ce dispositif, le CCD du colonel Fawzi est un rouage clé dans la cabale médiatique du DRS contre les proches du président. Sous couvert de dénonciation de la corruption, le DRS veut peser sur le cours des événements. Comment expliquer que le colonel Fawzi ait été démis de ses fonctions, si ce n’est par le fait que Bouteflika ait exigé son remplacement comme préalable à son retour.

3. Rumeurs. Alger l’été, la ville s’ennuie, la ville bruisse de rumeurs contradictoires. Il est question d’une chasse aux sorcières dans l’après-Bouteflika. Les dossiers d’accusation sont déjà prêts et Saïd le frère du président en fera les frais à coup sûr. La lutte des clans est passée au plan psychologique. Car du côté du clan Bouteflika, on promet aussi de faire le nettoyage. De vastes mouvements sont esquissés dans le corps des diplomates, dans celui des Walis… et le bruit d’un remaniement courait. Et ça c’était finalement une rumeur bel et bien fondée.

4. Echange de coups sur la scène politique. Le 29 août, élection tumultueuse d’Amar Saïdani au poste de secrétaire général du parti FLN, au terme d’un feuilleton riche en escarmouches administratives et judiciaires. Dans un pays où la justice n’est pas connue pour sa célérité, le Conseil d’Etat avait conclu la veille que la réunion du comité central du FLN était illégale, décision qui sera invalidée au petit matin par un tribunal administratif. Chaque clan a instrumentalisé la justice à son avantage. Avec ce renversement à retenir dans les annales, on est passé d’une justice aux ordres à un désordre dans le système de la justice. L’objectif du clan Bouteflika est atteint par un passage en force. Aucun concurrent à la présidentielle ne doit s’emparer du FLN. Et le choix de Saïdani n’est pas fortuit, car il s’agit d’une personnalité non présidentiable, il ne peut concurrencer le choix fait à El Mouradia. Prochaine étape, le contrôle du parti RND.

5. Gaïd Salah obtient carte blanche. Le 3 septembre, le général de corps d’armée Ahmed Gaïd Salah devient l’homme fort du régime. Il obtient des pouvoirs élargis, avec des prérogatives sur toutes les forces de sécurité dans la lutte antiterroriste . Il récupère l’autorité sur la Direction centrale de la sécurité de l’armée (DCSA), qui relevait auparavant du DRS. Et le démontage du DRS ne s’arrêterait pas là, l’état-major de l’armée aurait récupéré le CCD! Quant au pôle de police judiciaire du DRS, il serait absorbé par la justice militaire (voir à ce sujet l’instructif organigramme fait par @themoornextdoor).

Mais dans les médias publics, en ce 3 septembre, le chef d’état-major aurait juste présenté un « exposé exhaustif sur la situation qui prévaut en Algérie et au niveau des frontières. » La fusion de jihadistes au sein des Mourabitoune de Belmokhtar est certes annonciatrice de nouvelles attaques terroristes. Et deux jours auparavant, 49 prisonniers s’étaient évadés d’une prison à Gabès en Tunisie. Et un petit groupe de ces évadés a tenté de traverser la frontière entre les deux pays. L’extrait vidéo montrait Bouteflika donnant carte blanche à Gaïd Salah pour user de la force pour empêcher tout franchissement illégal de la frontière. «N’darbouhoum» (« il faut les frapper« ) dit d’une voix frêle le président. Un camouflage habile des véritables raisons des concertations au sommet.

6. Sellal en campagne. Le 4 septembre, lors de sa visite à Naâma, le Premier Ministre Sellal annonce une enveloppe complémentaire de près de 13 milliards DA pour cette Wilaya, officiellement « pour y impulser la dynamique de développement. » Sellal lance une campagne électorale aux présidentielles qui ne dit pas son nom. Il prend de l’envergure avec le soutien actif du clan présidentiel. Il est autorisé à annoncer des crédits supplémentaires lors de ses visites à l’intérieur du pays. La même technique de générosité de l’Etat qui avait été abondamment utilisée par Abdelaziz Bouteflika lors de ses campagnes de réélection. Alors que le clan DRS est dans l’incapacité de réunir un large support autour d’un candidat valable, les proches du président proposent une alternative. Scénario probable: Bouteflika candidat à sa réélection, Sellal sera son suppléant sur le ticket présidentiel. Le Premier Ministre battra seul la campagne. Et le ralliement apparent de l’état-major de l’armée à cette option fait visiblement basculer le rapport de forces. Rien n’empêche dorénavant une modification de la constitution pour créer un poste de Vice-Président destiné à être occupé par Sellal lors du prochain mandat.

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Légende: Abdelaziz Bouteflika reçoit le PM Sellal et le Ministre des AE Medelci le 8 septembre. Son frère Saïd est visible dans le miroir en haut à droite.

7. Saïd Bouteflika se montre. Il est la cible d’une offensive médiatique acharnée. Les attaques contre Saïd Bouteflika atteignent même le stade du sordide. Imperturbable, le frère-conseiller du président demeure le stratège du clan présidentiel. Cette image subreptice de lui dans un miroir n’est pas fortuite. C’est un message clair à l’intention des partisans et de l’opinion publique. Les affaires de la présidence sont entre des mains de confiance.

8. De nouveau en quête d’une légitimité internationale. Que cache d’autre la réception le 8 septembre de Mourad Medelci? L’ex-ministre des affaires étrangères est le seul  à avoir été remercié lors du remaniement du gouvernement avec la mention « appelé à d’autres fonctions. » Et le même jour, Medelci est interviewé sur la TV d’Etat, ce qui accentue ce traitement privilégié.

Cela n’était pas une coïncidence. Une explication possible, cela désengageait l’Algérie de l’initiative du Qatar à Paris. En effet, ce jour là l’émirat gazier détournait une partie de la Ligue Arabe pour soutenir les frappes étrangères contre la Syrie. Alors que Nabil Al Araby, le secrétaire général de la Ligue Arabe, démentait la veille tout soutien à une intervention extérieure sur le conflit syrien en dehors de la légalité internationale. Et au mépris des usages diplomatiques, le nom et le drapeau de la Ligue Arabe est utilisé dans une opération de communication à Paris, après une réunion rassemblant qu’une partie des pays membres de l’organisation.

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Légende: Le secrétaire d’état américain John Kerry parle à Paris. Derrière lui, le drapeau de la Ligue Arabe. 

9. Un DRS isolé. En une semaine, du 3 au 9 septembre 2013, Bouteflika a reçu le PM Sellal à trois reprises et le chef d’état-major Gaïd Salah à deux reprises. Officiellement, il s’agissait d’étudier les « conditions de déroulement de la rentrée sociale et scolaire » et d’aborder la situation sécuritaire. A posteriori, il s’agissait de finaliser des décisions majeures dans le plus grand secret par rapport au DRS. Le 11 septembre, la présidence a annoncé le remaniement ministériel dont la rumeur courait depuis plusieurs semaines. Les ministres issus du FLN sont renvoyés du gouvernement. Il leur est reproché leur manque de soutien à la prise de contrôle du FLN par Amar Saïdani. D’autres ministres ayant eu une attitude équivoque ont été éjectés aussi. Un véritable coup de force visant à réduire l’influence du DRS. Les hommes choisis pour les ministères de souveraineté sont des fidèles du président.

10. Un statut d’homme fort reconnu. Gaïd Salah devient Vice-Ministre de la défense nationale. Son prédécesseur au gouvernement, Abdelmalek Guenaizia, n’était que Ministre Délégué auprès du Ministre de la défense nationale (qui n’est autre qu’Abdelaziz Bouteflika).

Dans un article précédent (dont la traduction en français est Général Toufik: Le dirigeant invisible), l’auteur de ces lignes a schématisé le pouvoir fragmenté du système décisionnel algérien par un échiquier. Contrairement à l’opinion répandue du « Reb Dzayer » (Dieu de l’Algérie), le général de corps d’armée Mohamed Mediène dit Toufik ne détient pas tous les pouvoirs. Il avait cependant la plus grande capacité d’influence sur la scène politique du pays. Sur l’échiquier, il représente la pièce la plus puissante, celle de la Reine, appelée en Arabe le Vizir par référence aux chanceliers des grands empires musulmans. Mais sur un échiquier, une pièce ne fait pas le jeu à elle seule. Et la valeur conjoncturelle d’un élément du jeu est une combinaison entre sa force et sa position. Et sur l’échiquier algérien, Ahmed Gaïd Salah détient désormais une position stratégiquement plus forte que celle de Mohamed Mediène.

Conclusion. Quelle sera la réaction du DRS? Pour le moment, c’est la surprise dans ses rangs. Car comme l’indique un officier du CCD «Pour l’heure, nous n’avons rien d’officiel», «L’information nous l’avons apprise, comme vous, à travers les médias». Le scénario le plus probable est qu’il va accepter le fait accompli, et devra s’accommoder d’un nouveau compromis avec le clan Bouteflika. Une fois que l’abcès est crevé, le réflexe est de s’empresser de mettre un pansement au-dessus, et ainsi protéger la plaie de la vue du public. Ce blog y reviendra sûrement dans d’autres articles abordant la pouvoirologie en Algérie.

Baki @7our Mansour

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